Le Quatrième mur
Publication 2013
Genre et Registre Rentrée Littéraire
Genre Nouvelles et romans du 20-21e
Durée 9:10
Nombre de Chapitre ou Parties 1
Date de l'édition 2013
Pays
Mots clé

Review

Quatrième de couverture :

"L'idée de Samuel était belle et folle : monter l'Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé.

Samuel était grec,. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m'a demandé de participer à cette trêve poétique. Il me l'a fait promettre, à moi, le petit théâtreux de patronage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m'offre brutalement la sienne ..."

Sorj Chalandon

Résumé :

L'idée de Sam était folle. Georges l'a suivie. Réfugié grec, metteur en scène, juif en secret, Sam rêvait de monter l'Antigone d'Anouilh sur un champ de bataille au Liban. 1976. Dans ce pays, des hommes en massacraient d'autres. Georges a décidé que le pays du cèdre serait son théâtre. Il a fait le voyage. Contacté les milices, les combattants, tous ceux qui s'affrontaient. Son idée ? Jouer Anouilh sur la ligne de front. 

Créon serait chrétien. Antigone serait palestinienne. Hémon serait Druze. Les Chiites seraient là aussi, et les Chaldéens, et les Arméniens. Il ne demandait à tous qu'une heure de répit, une seule. Ce ne serait pas la paix, juste un instant de grâce. Un accroc dans la guerre. Un éclat de poésie et de fusils baissés. Tous ont accepté. C'était impensable.Et puis Sam est tombé malade. Sur son lit d'agonie, il a fait jurer àGeorges de prendre sa suite, d'aller à Beyrouth, de rassembler les acteurs un à un, de les arracher au front et de jouer cette unique représentation. 

Georges a juré à Sam, son ami, son frère.Il avait fait du théâtre de rue, il allait faire du théâtre de ruines. C'était bouleversant, exaltant, immense, mortel, la guerre. La guerre lui a sauté à la gorge. L'idée de Sam était folle. Et Georges l'a suivie.

Critique :

Après l’Irlande (« Mon traître », « Retour à Killybegs »), l’écrivain et journaliste Sorj Chalandon, témoin de nombreux conflits à travers le monde, signe avec « Le Quatrième mur » (Grasset) un récit saisissant de la guerre au Liban à travers le regard de Georges, metteur en scène français. Un roman bouleversant qui a raflé le Goncourt des Lycéens parmi quinze œuvres sélectionnées.

Georges est un militant. Sur les bancs de sa fac parisienne, il est de tous les combats. Il se passionne aussi pour le théâtre et la mise en scène. Un jour comme les autres, avant un cours, Samuel, militant juif venu de Grèce, raconte à un amphi blindé l’histoire de son combat contre la dictature des colonels. Georges sent que cette rencontre va changer sa vie. Les deux hommes tissent une amitié profonde, fraternelle. Et pourtant, ils se perdent de vue, l’ex-étudiant se marie, devient surveillant et accumule les petits jobs à l’éducation nationale. Jusqu’à ce que Samuel, atteint d’un cancer, vienne le trouver pour lui demander de finir le projet de sa vie : monter Antigone, sa pièce favorite, à Beyrouth, en pleine guerre du Liban. Son idée? Faire interpréter tous les rôles par ceux qui s’opposent sur le champ de bataille. Une palestinienne, un Druze, un chrétien, un chaldéen... Pour voler deux heures à la barbarie, comme une trêve. Georges, malgré son passé militant, sent que ce projet le dépasse. Pourtant, ému par la mort imminente de son ami, il accepte. Il quitte foyer, confort et famille pour rejoindre Beyrouth en 1982, le début de son aventure, le début de son enfer.

Le quatrième mur, c’est le mur invisible entre les acteurs et les spectateurs, la frontière entre la fiction et la réalité. Et ce sont ces frontières, ces lignes invisibles mais imperméables, qui travaillent le récit de Chalandon. L’art et la guerre peuvent-il se rencontrer? Est-on aussi légitime dans les manifs parisiennes qu’au milieu d’un conflit qui sent le sang et la mort? Peut-on revenir à une vie confortable quand on a été le témoin de toutes les horreurs? Avec une grande pertinence, l’auteur fait jouer la distance entre Orient et Occident, le regard de l’un sur l’autre. Il met en scène le choc brutal et violent de la théorie et de la pratique, de l’art vivant parti à la rencontre de mourants. Brutale, l’écriture de l’ex-journaliste peut l’être. Mieux que quiconque, il oppose avec ses mots la tendresse d’un père pour sa fille et la violence d’un obus percutant une jambe. Sa lucidité, on imagine qu’il l’a rapportée de ses reportages, des guerres qu’il a couvertes. L’odeur du sang et la douleur d’une blessure sont plus vivaces que jamais. Son regard n’est pas naïf. Lui-même semble questionner sa légitimité à écrire sur le conflit autant que celle de Georges à prendre part à la guerre d’un peuple qui ne lui a rien demandé. « La tragédie, explique le metteur en scène à ses comédiens, c’est gratuit. C’est sans espoir. Ce sale espoir qui gâche tout. Enfin, il n’y a plus rien à tenter. C’est pour les rois la tragédie. » En oubliant l’espoir et en embrassant la tragédie, Sorj Chalandon signe l’un des plus beaux romans de la rentrée.

Pauline Le Gall (19/08/2013)

Quelques intérêts de l'oeuvre

 

Catégorie proposée

Arguments relevés

Émotions et registres

Ce roman suscite l’effroi, il ne cache rien des atrocités de la guerre.

Visée didactique

Ce roman dénonce l’absurdité de la guerrequ’elle soit.

Histoire, documentaire

Ce roman rappelle des événements oubliés dont il faut se souvenir.

Identification, vision du monde

Ce roman fait réfléchir sur la différence entre notre univers confortable et ce que vivent les populations dans les territoires en guerre aujourd’hui.

Personnages, valeurs

Ce roman raconte le parcours d’un utopiste épris de fraternité.

 autres intérêts littéraires divers :

       TRAGIQUE et HISTORIQUE > Dans la quatrième de couverture de la première édition d’Antigone (éditions de la Table ronde, 1946), Anouilh écrit : « LAntigone de Sophocle […] Je lai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre.» Analysez et commentez la phrase en établissant un parallèle avec Le Quatrième Mur.

       DIALOGUE CULTUREL > Citez d’autres pièces de théâtre emblématiques de la Résistance. Pour chacune, précisez le contexte dans lequel elles ont été écrites, puis mises en scène.

        INTERTEXTUALITE > Relevez les références à des pièces de théâtre présentes dans Le Quatrième Mur. Précisez en quoi elles viennent éclairer la compréhension des personnages et de laction du roman.

       ROMAN HISTORIQUE > Dans son roman, Sorj Chalandon fait dire à son personnage, Georges: « Antigone était de tous les temps. De notre actualité. » (p. 66) Analysez et commentez en vous appuyant sur lexemple du Quatrième Mur.

       EVOLUTION du PERSONNAGE > Quelle est la signification de lexpression arabe ahlan wa sahlan (formule de salutation) ? Relevez toutes les foiscette phrase est prononcée devant Georges. Selon vous, qu’est-ce que cela dit de l’évolution du personnage principal du roman ?

       DESIGNATION du PERSONNAGE > À plusieurs reprises, Sorj Chalandon utilise les prénoms des personnages d’Antigone au lieu d’utiliser les prénoms des acteurs de la pièce que tente de monter Georges. Relevez-en quelques exemples. Qu’en concluez-vous ?

       THEME et ECRITURE de la FRONTIERE > Qu’elle soit physique ou symbolique, analysez la notion de frontière dans le roman de Sorj Chalandon.

 

       DIALOGUE CULTUREL > Établissez un parallèle entre Georges et Bardamu, le personnage principal de Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (écrivain français, 1894-1961). Quels sont leurs différences et leurs points communs ? Quelle image ces romans donnent-ils des hommes qui reviennent de la guerre ? Enrichissez votre réflexion avec d’autres exemples issus de vos lectures d’œuvres de fiction ou d’articles de presse.

 

Traitement réaliste de l'oeuvre, très près des frontières entre la fiction et la réalité :

LA MISE EN SCÈNE : THÉÂTRE, RÉSISTANCE ET INTERPRÉTATION(S)

Le théâtre est avant tout caractérisé par une mise en scène. Celle-ci implique un positionnement par rapport au contexte politique dans laquelle elle se fait et par rapport à la réalité.

En effet, si Antigone est bien l’héroïne du « non » (aussi bien dans la pièce de Sophocle que dans celle d’Anouilh), c’est bien la mise en scène d’Anouilh et le contexte politique dans lequel il l’a fait jouer qui fait de son Antigone une œuvre emblématique de la Résistance : la première représentation a lieu au théâtre de lAtelier à Paris le 4 février 1944, durant loccupation allemande. Le personnage d’Antigone devient alors le symbole de l’opposition, de la désobéissance à des lois iniques (Créon peut dès lors incarner les lois nazies) et ce, au mépris de la mort. C’est également une dénonciation de la passivité du plus grand nombre face à ces mêmes lois par peur (Ismène représente les civils qui ont collaboré) ou par obéissance aveugle (les gardes deviennent les fonctionnaires du gouvernement de Vichy en place pendant lOccupation) et une immense lon d’espoir. Samuel Akounis se situe dans cette tradition lorsqu’il tente de mettre en scène Antigone à deux reprises Samuel aime ce texte parce qu’il a été écrit aux heures les plus noires de notre histoire. Lorsque tout était perdu. », p. 136) :

        la première fois en Grèce, pour sopposer à la dictature des généraux ;

        la seconde fois à Beyrouth, pour sopposer à la guerre civile et à la passivité des autres pays.

 

Anouilh et le personnage de Samuel soulignent ainsi la dimension éminemment politique du théâtre : « Un géant qui blesse à mort tout ce qu’il frappe » (Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Paris, Presses Pocket, 2006, p. 105), selon les dires de Beaumarchais (écrivain français, 1732-1799), repris par Chalandon à travers Georges (p. 28). Une pièce peut, en effet, se transformer en arme de dénonciation des pouvoirs en place, aussi bien qu’en espace d’expression des libertés individuelles ou de construction du collectif par le dialogue. C'est en effettoute l'ambition de Samuel et de Georges lorsqu’ils se lancent dans la mise en scène de leur Antigone : faire renaitre l’espoir, rassembler toutes les communautés dans un lieu de dialogue, refuser la facilité et la passivité générale et s’opposer aux partis en place qui se passeraient volontiers de la liberté d’expression.

Preuve enfin du caractère très politique du théâtre : les forces en présence à Beyrouth s’intéressent toutes de près au projet de Georges (qui obtient les papiers nécessaires de tous les partis) et se laissent convaincre d’autoriser la représentation, car chacun voit dans la pièce ce qu’il souhaite y voir. Ainsi, tout comme en 1944 la censure allemande n’y avait vu que la réussite du puissant Créon à imposer ses lois alors que la population française préférait y voir lacte de rébellion d’Antigone, chaque protagoniste de la pièce de Georges la lit et linterprète selon ses convictions:

« Antigone, dérobée par les uns, par les autres […]. » (p. 106)

 

Enfin, en devenant un acte de résistance, le théâtre pousse par conséquent ses interprètes à naviguer très près des frontières entre la fiction et la réalité (puisqu’il cherche à interagir avec son contexte). D’après Samuel, il existe entre les acteurs d’une pièce et lextérieur un « quatrième mur » qui les protège, leur permet de jouer leur rôle sans interaction avec la réalité et de retrouver leur vie après la représentation : « Le quatrième mur, c’est ce qui empêche le comédien de baiser avec le public […]. Une façade imaginaire, que les acteurs construisent en bord de scène pour renforcer l’illusion. Une muraille qui protège leur personnage. Pour certains un remède contre le trac. Pour d’autres, la frontière du réel. » (p. 23)

Emporté par sa fougue, Georges entremêle sa pratique du théâtre et son action militante Le théâtre était devenu mon lieu de résistance. », p. 28). Il franchit une première fois la frontière, lors de la grève des ouvriers de lusine Alsthom. En jouant face aux CRS (acronyme de compagnies républicaines de sécurité) une scène d’Une demande en mariage de Tchekhov (écrivain russe, 1860-1904) avec Aurore et Samuel, dans laquelle il simule sa mort subite: « Nous avons quitté le trottoir comme on sort de scène […] Il m’a fait peur, ce con ! a lâché un flic. Nous avons pris ce mot pour un vivat. » (p. 31) Puis, de retour à Beyrouth après l’échec d’Antigone et surtout son expérience traumatisante de la guerre, incapable de retrouver sa vie, Georges franchit de nouveau la frontière entre la fiction (Beyrouth, le décor de sa pièce) et la réalité (Beyrouth en guerre), sans espoir de retour : « Il a traversé le quatrième mur, celui qui protège les vivants. » (p. 206)

LES VIOLENCES DE LA GUERRE

Le Quatrième Mur est un roman traversé par la violence et la mort qui narre le retour impossible d’un homme traumatisé par la guerre.

 

Dès la présentation des personnages, Sorj Chalandon dépeint Georges comme un homme en colère (« Je charrie la fureur », p.40), marqué par la violence et meurtri dans sa chair. Militant maoïste, il se porte au combat contre les CRS et n’hésite pas à frapper les militants du camp adverse. Son engagement le conduit à se faire passer à tabac par ses adversaires : « J’explosais. […]

Je navais plus un os en place. Ils ne me frappaient pas seulement, ils me démolissaient. » (p. 44) Mais en arrivant au Liban, Georges découvre un autre type de violence : « La violence brute, pure […]. » (p. 141) Il est en effet confronté à une brutalité d'un genre nouveau :

       l’humiliation. Les miliciens chrétiens le jettent à terre et lobligent à manger le laissez-pas- ser palestinien ;

        la participation à une scène de tir sur la « ligne verte » ;

        les bombardements avec leurs lots de morts et de blessés dans la population civile ;

        les blessures infligées par une bombe au phosphore ;

       la découverte des massacres des camps de Sabra et de Chatila avec la perte d’êtres chers (Imane) et leurs scènes d’horreur (des enfants, des femmes et des vieillards massacrés);

        lassassinat d’un homme (Joseph-Boutros) ;

        et finalement, la violence ultime, la mort violente.

 

Militant engagé et agité, Georges suit un chemin de progression dans la violence et, de spectateur, il devient peu à peu acteur de la guerre : « […] le druze me proposait brusquement de prendre ma part de guerre. » (p. 200)

Au Liban, le jeune metteur en scène subit un véritable choc traumatique et, de retour en France, il semble être victime du syndrome de stress posttraumatique qui touche souvent les soldats, mais également les personnes confrontées à des situations de guerre. Il en présente plusieurs symptômes :

       une incapacité à se réinsérer dans la vie civile et à retrouver les repères du quotidien (il sort, par exemple, sans éteindre le gaz sous le feu) ;

       une stratégie d’évitement. Il refuse de parler de ce qu’il a vécu et a vu à Beyrouth Je navais pas de mots pour elle. Je lui cachais les morts qu’elle ne saurait jamais », p. 173) ;

        une insensibilité progressive aux sentiments positifs comme lamour ou lamitié ;

        la violence à l’égard de ses proches J’ai voulu la prendre dans mes bras ou l’étrangler », p. 177) ;

       un comportement obsessionnel et compulsif (« Je découpais les articles de journaux, je les soulignais entièrement, ligne après ligne », p. 178) ;

       la pénétration de l’image de la mort dans le psychisme avec des flashbacks et des comparai- sons morbides. Il ne peut voir sa fille sans repenser aux enfants morts de Chatila.

Il erre donc physiquement et psychiquement. Le style de Chalandon transcrit ce comportement erratique et obsessionnel. Dans les chapitres consacrés au retour, les phrases sont courtes ; le pronom de la première personne du singulier est omniprésent ; les dialogues sont inexistants et remplacés par le style indirect libre.

 

Finalement, bien qu’il tente de se soigner, l’esprit de Georges prend totalement ses distances avec la réalitétrop brutale – et se dissocie des actes qu’il commet, comme un acteur le ferait pour incarner son personnage.

Documentation :

http://evene.lefigaro.fr/livres/livre/sorj-chalandon-le-quatrieme-mur-2171153.php

http://www.babelio.com/livres/Chalandon-Le-quatrieme-mur/496397

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